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Lanoë, comme un moine accepte la Règle qui doit le conduire au salut, a choisi d’explorer, tout au long de son existence, les possibilités infinies que lui offrait un simple rectangle de toile nue entre quatre traits. C’est cet austère enclos qu’il a élu comme son domaine de perfectionnement. C'est dans ce champ de bataille stylisé, dans ce résumé d’existence, qu’à chaque déplacement stratégique de son pinceau ou de sa plume, il met en gage sa propre destinée.
Toute œuvre nouvelle est pour lui un jeu de go métaphysique.
Chaque trait, chaque graphisme, chaque forme, est une aspiration vers les entités qui commandent, quelque part dans l’univers, l’harmonie universelle. Chaque intervention sur la toile ou le papier est déterminée pour occuper la place exacte qui doit satisfaire à la fois l’œil et l’intellect.
Ces règles imprimées dans notre cerveau, et auxquelles obéit l’artiste, sont les reflets de celles que la science dicte au savant. Elles le poussent à la découverte de lois qui mettront l’esprit en harmonie avec celles de la création.
Il consacrera toute sa vie à les rendre intelligibles à lui-même et aux spectateurs de son œuvre.

Lanoë a la volonté de ne rien figurer qui puisse échapper à la rigoureuse raison, au plan idéal qui en lui commande l’élaboration de son travail. Le hasard n’a pas sa place dans ce monde où domine la rigueur. Toute échappée vers le chaos semblerait mettre en péril l’équilibre universel.
La moindre déviation de la moindre courbe serait une mise en danger, comme la plus petite faille dans la mécanique céleste pourrait conduire à des collisions planétaires. Lanoë, à son échelle et dans son domaine, est le disciple des grands déchiffreurs des principes de l’univers tels Newton, Galilée ou Copernic. Il a choisi la voie étroite qui mène à la découverte de la vérité.
Les artistes de la Renaissance ont déjà cherché les arcanes du Beau et du Vrai dans toutes les productions de l'esprit humain. L’art et la science se mêlaient encore étroitement à l’époque car ces disciplines cherchaient ensemble à découvrir les principes qui gouvernent le monde. Lanoë, lui cherche les commandes de lois plus subtiles, plus cachées qu’il perçoit à l’intérieur de lui-même qu’il veut dans ses toiles transmettre.


Il y a dans le cerveau humain une tendance innée à comparer, à classer, à rechercher des dogmes. Ces règles implicites sont présentes dans n’importe quelle production artistique, mais le peintre abstrait veut, en supprimant ce qu‘il juge superflu, anecdotique, les rendre plus intelligibles encore. Il veut ne donner de la forme des choses, de la vie elle-même, que leurs épures. Il veut non pas nier les représentations mais les transcender, en révéler l’essence.

Cet ascétisme rigoureux n’a pas cependant conduit Lanoë au dessèchement et à la pauvreté. Beaucoup de peintres, en choisissant cette voie, se sont restreints de plus en plus et ont abouti à une raréfaction de leur inspiration. Cette entreprise, lui a su la rendre féconde. S’il a volontairement épuré son œuvre par le contrôle qu’il a, à chaque instant, exercé sur elle, il l’a, en revanche, développée dans le temps. Par vagues successives, il a exploré chaque possibilité des champs graphiques qu’il découvrait en lui et autour de lui. Il a ainsi, année après année, décliné les particularités, les lignes de force, de multiples domaines, aussi bien géométriques que musicaux, topographiques, minéralogiques ou même biologiques…
Il a voulu en dégager les règles essentielles ou en créer de nouvelles qui satisfassent son esprit de rigueur et de précision. Là est la profondeur de cette entreprise que l’on peut juger aride au premier abord. Il n’y a pas d’œuvre plus volontairement limitée à l’essentiel : jamais de représentations d’êtres, de choses, d’allusions à la nature proche, lieux habitables, objets ou personnages. Pas de natures mortes, pas de paysages, pas de portraits ! Ce peintre recherche l’essence même du beau avant son incarnation dans le sensible. Il ne représente que ce qui est aux frontières du concret : les accidents géologiques de notre planète, les phénomènes atmosphériques qui l’environnent, les lueurs, les éclairs, les halos, les évocations d’arcs-en-ciel ou d’aurores boréales. Il fait appel au monde minéral, à des strates de calcaire, de granit ou de basalte, à des cassures et des failles dans les rochers où l’on voit des concrétions, des fragments fossiles. Travail aussi de cartographe, de topographe : schémas de villes, embranchement de réseaux routiers imaginaires. Plans de cités non construites encore ou que le temps a réduites à l’état de schéma. Univers virtuel où, avant la création, le créateur a cherché les lois de son agencement. Il explore aussi le domaine de l’infiniment petit : microbes en errance dans des liquides organiques dont la vision microscopique simplifie les silhouettes. Rencontre d’entités colorées dont les bords s’épousent ou se repoussent sur l’épiderme du papier. Mouvements aimantés, glissement d’une forme vers d’autres formes… Celles-ci viennent se joindre, se heurter doucement, se superposer comme de délicates paramécies. Parfois certaines figurations abstraites semblent rejoindre notre monde de représentations : de grandes pyramides déchiquetées et parallèles évoquent des roches balsamiques ou des cyprès inclinés par le vent ; on croit reconnaître des blocs de glace à la dérive sur des mers polaires, des traînées de nuages sur l’horizon, des bandes de terre dans l’eau d’un lac, d’un delta, ou les vues aériennes de champs cultivés. Mais peut-être est-ce par paresse que nous avons recours à ces correspondances, car nous sommes prisonniers de nos visions familières. Dans ces œuvres, l’abandon de nos repères habituels nous offre la chance de nous défaire des pesanteurs terrestres pour pénétrer dans ce monde où seul l’esprit se joue.





Les créations de Lanoë ne pénètrent qu’une faible épaisseur de la toile ou du papier. Cette profondeur n’excède pas la superposition de quelques couches de couleurs et la transparence qu’il utilise si souvent permet d’en suivre chaque forme… La vraie profondeur est celle du blanc. Un blanc qui offre la même perspective infinie que la lumière aveuglante d’un ciel baigné de lumière. Celle du noir aussi qui, au lieu d’arrêter le regard, invite à poursuivre au-delà de son opacité. Il y a dans ces représentations très peu de volumes. Il s’agit, le plus souvent, d’un jeu de lignes et de surfaces. Les courbes se déforment pour emprunter les chemins qui semblent mettre en évidence des préceptes mathématiques mais qui toujours s’en détournent imperceptiblement pour obéir à d’autres contraintes qui sont celles de l’esthétique. Celles-ci exigent un espace de liberté et d’invention pour échapper au tracé évident de courbes connues des géomètres. Lorsqu’un plan s’épanouit, pour ne pas le détourner de sa perfection par l’ajout d’une autre surface, d’une autre courbe, le peintre le laisse apparaître par transparence. Il veut ne rien laisser échapper de sa stratégie. Par le jeu subtil de ces superpositions il nous conduit à découvrir les étapes qu’il a suivies jusqu’à l’obtention de l’équilibre définitif. L’œuvre de Lanoë fait penser parfois à la série des sonates de Scarlatti ou à l’Art de la fugue de Bach et à leurs innombrables variations. Lorsqu’il décide d’explorer un thème graphique, il cherche à en épuiser tous les développements possibles. Il y a ainsi des séries où, à partir d’une idée première, il explore toutes ses déclinaisons harmoniques. La transparence permet alors de distinguer chaque partie comme on identifie chaque ligne mélodique dans l’ensemble de la masse sonore. Chaque représentation de figures est suivie par le regard comme les superpositions de thèmes musicaux sont suivies par l’auditeur d’une musique de chambre ou d’une symphonie.

Cette œuvre située dans un champ clos et dont il a volontairement limité les éléments n’est pas statique. C’est une œuvre en mouvement : on peut, non seulement suivre la progression des couches successives patiemment ajoutées les unes après les autres mais ces espaces et les formes qui la peuplent sont pleins de tensions : explosions immobiles, révolutions d’objets célestes, éclatements galactiques. Des blocs de matière semblent être arrivés au maximum de leur poussée antagoniste malgré leur immobilité apparente. On y voit des masses colorées qui semblent attirées ou repoussées par des pôles électriques, des aimantations qui dessinent des lignes de forces et des courbes audacieuses qui traversent l’espace de la toile pour suggérer, au-delà de celle-ci, un vaste champ dynamique.
Le peintre a cherché quelquefois une matérialisation plus concrète des surfaces impalpables qu’il pose sur sa toile. Il a choisi le papier transparent, chiffonné, froissé, retenant dans ses plis des traînées de couleurs. Dans la douceur soyeuse de ce papier, comme dans la somptuosité des couleurs, se réfugie sans doute cette volupté réprimée au profit de figurations plus dépouillées. S’il n’y a pas dans cette œuvre une sensualité immédiatement tangible, on perçoit très bien, malgré tout, la délectation que le peintre a éprouvée en plaçant délicatement une couleur à coté d’une autre, en faisant jaillir un ton chaud, lumineux, au milieu de surfaces froides, en donnant au papier froissé et verni des reflets d’élytres et en rendant ses surfaces agréables à l’œil grâce à la diversité de leurs graphismes et à la variété de leurs aspects.



Lanoë aime les couleurs profondes, soutenues, qui évoquent les pierres précieuses ou les lueurs mystiques des vitraux : les bleus, les verts, les violets, les rouges bordeaux, les ocres, les rouges sang aux sonorités d’orgues. Ces couleurs, il les passe en « à plat » minces et transparents ou en couches plus épaisses où se lisent les traits de pinceau. Mais le plus souvent, il les fait vibrer par des dégradés subtils, par des pointillés, des mouchetures et par des variations de la couleur elle-même qui se teinte de nuances voisines ou complémentaires.
Il oppose à ces zones de lueurs intenses d’autres parties où on voit des nuances pâles aux tonalités proches : beiges rosés, mauves argentés, verts d’eau, gris très clair. Elles contrastent avec les plages de couleurs vives comme les notes légères d’un clavier à peine effleuré à côté d’un ensemble de sonorités éclatantes. Mais ses vraies couleurs d’élection sont le blanc et le noir. Ce blanc qui est le support de chaque œuvre et qui transparaîtra, lumineux, jusqu’à la fin, à travers les couches successives. Blanc sur blanc, blancs presque blanc, blancs crémeux, blancs grisâtres, blancs mouchetés de gris. Blanc lisse, opaque où progresse, surgie d’un angle, une végétation envahissante. 
Blanc aveuglant du globe solaire. Cercle blanc lunaire qui baigne la toile d’une lumière opaline. Blanc pur qui d’une traînée fulgurante traverse une surface sombre, ou blanc onctueux, comestible, qui vient poser sur la composition une grande surface apaisante.

Le blanc appelle le noir, ce ton privilégié, présent dans chacune de ses œuvres et qui, de sa formation de graveur, a gardé toute sa force intense et son velouté. Il l’utilise dans toutes ses nuances : du noir absolu au presque noir, du bleu-noir profond au noir verdâtre ou teinté de roux. La gamme variée de ces surfaces obscures répond à celle des blancs et leur fait contrepoids. De l’illumination dans la lumière à l’infini de la transparente obscurité. Du blanc où l’esprit se fond avec le Tout, au noir fécond des profondeurs nocturnes.

L’œuvre patiente et évolutive de Lanoë n’est pas une œuvre séduisante au premier abord. Elle ne nous fait pas pénétrer dans l’univers de la sensualité et des passions. Elle demande au spectateur d’accomplir un chemin spirituel qui comme celui du mystique doit conduire à une compréhension plus vaste et plus cosmique. Ce n’est pas par la voie des mots, des phrases, des significations que l’on y parviendra mais par celle des formes et de leur agencement.

La méditation devant chacun de ces mondes immobiles doit nous conduire à une intelligence plus profonde des lois de la création et à nous immerger dans ceux-ci avec sérénité. Mais ce serait une erreur de croire que cette harmonie qu’il offre à ceux qui contemplent son œuvre, il l’a lui-même acquise sans lutte. En refusant toute représentation, en ne retenant du réel que ce qu’il a de moins tangible, Lanoë a sacrifié volontairement ce qui pouvait lui attirer l’approbation du public. Il a éradiqué de son travail la moindre complaisance, le moindre abandon à ce qu’il juge superflu. Il a eu le courage de réfréner ses propres élans comme un ascète vainc en lui la matière. Son chemin vers la beauté pure, absolue, il ne pouvait tolérer qu’il s’encombre de représentations profanes. Il a exercé sur l’ensemble de ses images une censure impitoyable. C’est ce refus qui donne à son travail sa puissance sous-jacente. C’est ce bouillonnement, au-dessus duquel plane la discipline de l’esprit, qui lui donne sa forte tension. Au prix de quelles dures exigences ce palier a-t-il été atteint ? Lui seul peut en avoir conscience. Mais en même temps, n’était-ce pas le seul chemin que le peintre pouvait suivre pour, en se donnant volontairement des limites, ne pas laisser son esprit s'égarer dans le chaos ?

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Pierre Lanoë
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